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Ouganda - Kenya - Tanzanie - Malawi - Mozambique - Zimbabwe : 6 pays, 4 mois, 2 vélos, 1 objectif: atteindre Bulawayo

29 Sep

Rwanda, génocide et Etat Policier

Publié par Xav

Les plus perspicaces d’entre vous auront remarqué que le Rwanda n’est pas sur la route de Bulawayo. J’y ai pourtant passé une semaine en août, avant l’arrivée de Bidou, et ce pays mérite bien un article.

Le Rwanda c'est là

Le Rwanda c'est là

Il est impossible de parler du Rwanda sans parler du génocide de 1994, pendant lequel 800.000 Tutsis et Hutus modères ont été massacrés. Pourquoi ? Comment a-t-on pu en arriver là ? En quoi les Allemands, Belges et Français sont-ils en partie responsables ?

Faisons quelques raccourcis historiques : lorsque les Allemands colonisèrent le Rwanda et le Burundi à la fin du XIX siècle, ils y trouvèrent deux ethnies y vivant en harmonie, partageant la même langue, la même culture, et vivant mélangés dans les mêmes villages. Les Tutsis, représentant 15% de la population, étaient majoritairement pasteurs, et donc plus riches que les 85% de hutus, majoritairement agriculteurs. Il existe une certaine différence physique entre les deux, les Tutsis étant considérés comme grands et élancés, avec une peau assez claire, tandis que les hutus sont considérés petits et trapus, avec une peau très foncée. Ces différences de physique et de patrimoine ont mené les Allemands à juger les Tutsis comme étant une ‘race de seigneurs’ et les Hutus comme étant des pecnots. Ils ont donc formé une élite politico-économique de Tutsis et laissé les Hutus de côté.

En 1918, à la fin de la première guerre mondiale, le Rwanda passe sous le contrôle des Belges. Ceux-là poursuivent la même politique de discrimination raciale pro-tutsi puis, en 1932, instaurent la mention ‘Tutsi’ ou ‘Hutu’ sur la carte d’identité de chaque Rwandais (bien utile pour les futurs génocidaires…). Mais le plus surprenant est le critère de sélection : tout individu possédant plus de 15 vaches est déclaré Tutsi, et tous les autres Hutus...

Jusqu'à l’indépendance, la minorité Tutsi profite bien des avantages qui leur sont accordés et discrimine la majorité Hutu. A l’indépendance, en 1960, des élections libres amènent la majorité hutue au pouvoir. S’en suivent 34 ans de discriminations, pogroms et parfois massacres de Tutsis par des Hutus.

En 1994, l’idéologie du ‘hutu power’, selon laquelle les Tutsis sont des ‘cafards’ traîtres à la nation, est bien implantée au Rwanda et un génocide semble imminent. Au même moment, des réfugiés Tutsis ont formé une armée en Ouganda et s’apprêtent à tenter d’envahir le Rwanda. Les négociations, qui auraient pu aboutir à une solution pacifique, prennent soudainement fin lorsque l’avion du président Rwandais Habyarimana est abattu a Kigali. Œuvre des extrémistes de son gouvernement qui le trouvaient trop modéré, ou attaque des exiles Tutsis ? On l’ignore encore. Toujours est-il que dès le lendemain, les exiles tutsis lançaient leur offensive sur le Rwanda, et les miliciens hutus commençaient à massacrer autant de Tutsis qu’ils le pouvaient.

Et hop une petite photo du génocide

Et hop une petite photo du génocide

Ce génocide a de particulier qu’il fut qualifié de « génocide de proximité » : encouragés par des messages génocidaires diffusés à la radio, nombre de hutus ont assassiné leurs voisins tutsis avec lesquels ils entretenaient des liens sociaux auparavant. Les mutilations, viols et tortures systématiques en font également un génocide particulièrement violent et sadique.

Le génocide pris fin au bout de trois mois, lorsque les exiles tutsis, dirigés par Paul Kagamé, eurent envahi tout le Rwanda. Par peur de représailles, plusieurs millions de hutus fuirent vers la RDC voisine. Depuis, le Rwanda est dirigé d’une main de fer par Kagamé, et n’a plus connu de violences ethniques. Il ne faut cependant pas oublier que pendant ce temps-là, environ 5 millions de personnes sont mortes au Congo en 20 ans à cause de conflits découlant indirectement du génocide, mais s’expliquant surtout par la cupidité de nombreux dirigeant africains pillant les ressources naturelles du Congo.

Mais revenons au génocide et au rôle de la France dans tout cela. Qu’avons-nous fait dans l’histoire ? Voici ce que l’on apprend au mémorial du génocide à Kigali (retranscription exacte des panneaux du Mémorial) :

« La France a joué un rôle actif en armant et en entraînant les Forces Armées Rwandaises. Des soldats français ont également formé des miliciens hutus qui allaient jouer un rôle clé pendant le génocide. »

« Quand les troupes françaises arrivèrent, il y avait encore des rescapés dans les collines. On dit que les Français rassuraient les résistants en leur disant qu’il n’y avait pas de danger à sortir des cachettes, puis ils s’en allèrent. Croyant qu’il n’y avait pas de danger les rescapés affaiblis sortirent pour être massacres par les Interahamwe. »

« L'opération Turquoise [NDLR : arrivée de militaires français à la fin du génocide] aboutit à la création d'une zone hors danger pour les génocidaires (...) et une route d'évasion vers le Zaïre. »

Pas très flatteur pour la France tout cela… Bien entendu, la France se défend d’avoir simplement aidé un gouvernement allié à s’armer contre des envahisseurs potentiels, et affirme qu’elle ignorait les intentions génocidaires du régime rwandais. C’est très probablement faux, et la France a vraisemblablement du sang sur les mains. De même pour la communauté internationale, qui a décidé de retirer ses quelques centaines de casques bleus présents au début du génocide, alors que le général commandant la force armée de l’ONU au Rwanda affirmait qu’il lui suffisait de 5000 hommes pour arrêter le génocide.

Mais bon, tout cela est de l’histoire ancienne, et en 20 ans, le Rwanda s’est totalement métamorphosé. La notion d’ethnie a disparu des cartes d’identités, on apprend aux enfants à l’école qu’il n’y a pas de Tutsis ni de Hutus, que c’est une invention coloniale, et qu’il n’y a que des citoyens rwandais. Le pays est devenu le plus sûr de la région avec une criminalité très faible. Les Français et Allemands que j’ai rencontré ont aussi peu peur de se promener de nuit à Kigali qu’à Paris ou Berlin. La corruption est aussi bien plus faible qu’ailleurs, avec des hautes sphères probablement corrompues, mais pas de petite corruption : les policiers ne rackettent pas, et les entrepreneurs n’ont pas à payer de pot-de-vin pour lancer leur business, créant un environnent favorable aux affaires qui favorise la croissance économique. Les bus y sont davantage à l’heure qu’en France, et cela fait un choc quand on sait qu’il n’y a pas de notion d’horaire de bus dans les pays voisins : un bus ne part qu’une fois qu’il est plein.

Les grattes-ciels de Kigali

Les grattes-ciels de Kigali

Clairement, le Rwanda est un pays surprenant, qui donne une impression de paradis relativement aux pays voisins. Mais ce tableau apparemment bien rose cache une sombre vérité : les Rwandais sont terrorisés par leur régime. Je suis allé en Chine, en Iran et au Rwanda, et les mots « état policier » et « 1984 » me semblent largement plus adaptés au Rwanda qu’aux deux autres pays mentionnés.

Pour vous donner une idée :

  • La moitié des Européens que j’ai rencontré refusaient de me parler de Kagamé dans des lieux publics si un inconnu se trouvait à moins de 3 mètres.
  • Un Rwandais m’a dit ne pas vouloir parler du génocide par email à un ami français car il est persuadé que tous les emails sont lus par le gouvernement.
  • Tous les Rwandais affirment qu’il y a des espions partout, même dans les villages les plus reculés. Aucun n’exprimera jamais une opinion anti-Kagamé en public.

A côté de cela, il est avéré que Kagamé envoie des assassins tuer ses opposants politiques à l’étranger. Il ne fait que peu de doutes que des opposants sont également assassinés sur le sol rwandais, en plus des nombreuses arrestations.

Kagamé est donc un dictateur. Un dictateur qui terrorise sa population et tue ses opposants, mais qui apporte paix, sécurité et prospérité économique à son pays. Beaucoup lui donnent donc le qualificatif de « dictateur éclairé ». Est-ce un mal nécessaire ? Après tout, c’est le type de gouvernance qui a transformé l’îlot misérable qu’était Singapour en un pays riche et prospère.

Malgré les indéniables succès de Kagamé, je pense que ce modèle n’est pas le bon. Car il y a une ombre au tableau : les supposées nouvelles discriminations anti-hutu.

Tout comme avant le génocide, le Rwanda est à nouveau composé de 15% de Tutsis et 85% de Hutus. Officiellement, il n’y a plus d’ethnies au Rwanda. La vérité est qu’ils savent se reconnaître, et que le président et la plupart de ses ministres sont des Tutsis. Selon certains témoignages, il semblerait que le gouvernement ait secrètement mis en place une politique de discrimination contre les Hutus. Les bancs des universités seraient très majoritairement remplis de Tutsis par exemple. Le problème est qu’il est impossible de vérifier de telles affirmations sans risquer de se faire arrêter. Mais si cela était vrai, comment ne pas craindre que le ressentiment entre Tutsis et Hutus ne se renforce, et que l’histoire se répète ?

C’est là tout le problème du régime dictatorial de Kagamé : ses succès au niveau de la sécurité et de la croissance n’auraient peut-être pas été aussi spectaculaires sans ses mesures totalitaires, mais l’absence de liberté d’expression et de société civile empêche tout contre-pouvoir de dénoncer des dérives pouvant à terme avoir des conséquences désastreuses.

Comment la situation devrait-elle évoluer ?

Les prochaines « élections » auront lieu en 2017. Pour pouvoir se re-présenter, Kagamé devra préalablement modifier la constitution rwandaise qui limite actuellement le nombre de mandats consécutifs du président ; c’est la voie qu’il semble s’apprêter à suivre. Et cela malgré la regrettable décision similaire du président du Burundi voisin, qui a plongé son pays dans la guerre civile depuis mai 2015. Un tel scénario semble cependant improbable au Rwanda, tant Kagamé tient son pays d’une main de fer…

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C
Vous êtes au top ! <3<br /> Cette petite vidéo synthétise bien la situation il me semble : https://www.youtube.com/watch?v=HCjk5gFQjDo
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A
Bravo Xavier pour cette analyse, aussi passionnante que celle sur l'Iran.<br /> Bonne continuation, soyez prudents sur vos vélos.
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J
Extrêmement intéressant !
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