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Ouganda - Kenya - Tanzanie - Malawi - Mozambique - Zimbabwe : 6 pays, 4 mois, 2 vélos, 1 objectif: atteindre Bulawayo

29 Sep

Can't teach, won't teach

Publié par Bidou et Xav

Ça y est ! Nous voici en Tanzanie, troisième pays de notre liste. Pour vous faire partager un peu mieux notre expérience kenyane, nous aurions pu faire un article comme celui sur l'Ouganda. Plusieurs constats en seraient sortis : un pays un peu plus riche, un accueil mitige des populations, une ville de Nairobi étonnante, presque occidentale ou encore un tourisme hors de prix sur développe. Mais nous avons fait le choix d approfondir un sujet majeur au Kenya : l'éducation. Pourquoi est-ce si important ? Parce que dans un pays en voie de développement avec environ 42% de la population en dessous de 14 ans (et a peu près le même taux de chômage ...), l'éducation est une priorité pour nombre de familles qui souhaitent un avenir meilleur pour leurs enfants. Mais surtout car aujourd'hui, 20 septembre 2015 (jour d'écriture sur papier de cet article), cela fait trois semaines que les instituteurs des écoles publiques kenyanes sont en grève.

Can't teach, won't teach

Pour comprendre cette grève, commençons par détailler le système d'éducation kenyan. Comme en France, l’école obligatoire commence à 6 ans (une partie des plus jeunes vont dans des garderies de 3 a 6 ans mais la plupart restent à la maison). Les enfants ont ensuite 8 ans d’école primaire puis 4 ans de secondaire, avant d’éventuellement poursuivre à l’université (pour les meilleurs mais surtout les plus riches). À la fin du primaire et du secondaire, des épreuves nationales permettent de passer au niveau d'au-dessus, avec des bourses accordées aux meilleurs élèves. L'école publique coûte environ 15 euros par an, somme que la majorité des familles est prête à payer. Mais malgré son faible coût, l'école publique n'est toujours qu'un choix par défaut. En effet, dès qu'une famille a assez d'argent, (et l'éducation des enfants nous a souvent semblé être une dépense prioritaire), elle choisit de placer sa descendance dans des écoles privées, pour environ 150 euros par an. Nous avons demandé à plus d'une dizaine de personnes différentes dans 3 pays la raison pour laquelle ils préféraient placer leurs enfants dans le privé, et la réponse était toujours la même : l'implication des professeurs. Quoi qu'ils fassent, les professeurs publics, fonctionnaires, toucheront leurs salaires à la fin du mois. Les enseignants n'ont donc aucune incitation à s'impliquer. Le contrôle est de plus inexistant, avec un inspecteur pour 80 écoles en moyenne (dont Charles, un de nos hôtes couchsurfing). A contrario, les professeurs du privé peuvent eux se faire renvoyer d'un jour à l'autre s'ils ne sont pas performants. En plus de cela, les classes publiques ont de l'ordre de 60 élèves par classe, contre 30 à 40 dans le privé, avec des pics jusqu'à 100 élèves mélangeant parfois 3 tranches d'âge. Dans ces conditions, ce n'est plus de l'éducation, mais de la garderie. Un autre problème est selon nous celui de la langue de l'éducation : les enfants parlent le langage de leur tribu à la maison, ont des cours en Swahili de 6 à 10 ans, puis des cours en anglais à partir de 11 ans. Nous ne sommes pas les seuls à penser qu'un enfant qui ne comprend pas l'anglais ne tirera pas grand chose d'un cours d'histoire d'un professeur qui parle un anglais déplorable... Au final, ce système forme une élite qui parle couramment anglais, mais une majorité des élèves sortent de l'école sans les connaissances basiques dans la plupart des matières.

Ici aussi ils ont une ecole polytechnique !

Ici aussi ils ont une ecole polytechnique !

Si on parle salaire maintenant, un instituteur public touche un peu moins de 200 euros par mois, contre parfois le double dans le prive. Dans les deux cas, les professeurs ont généralement un bac +2, parfois un bac+5 ou juste le bac. Ce chiffre est a mettre en relation avec le salaire d un ouvrier qualifie par exemple, qui lui touche environ 300 euros par mois, mais également avec les chiffres de la banque mondiale qui estimait qu en 2013, 43% de la population kenyanne vivait en dessous du seuil de pauvreté, défini par un revenu de moins de 35 euros par mois par personne.

Récapitulons pour comprendre l'origine du problème : des instituteurs mal payes et peu qualifies enseignent dans un langage qu ils comprennent mal avec des moyens matériels et humains trop limites. Cela crée une lassitude du corps enseignant, augmentant l'absentéisme des professeurs et diminuant leur implication, au grand bonheur des écoles prives dont le marche est florissant.

Bref, le cercle vicieux de l'éducation publique a fini par déboucher sur une grève généralisée des enseignants, perturbant le programme de l'année et les plannings d examen. Les revendications des syndicats enseignants sont claires : plus de professeurs et une augmentations des salaires de 50 a 60%. La réponse très diplomatique du gouvernement fut tout aussi claire : "can't pay, won't pay". Cela a inspire la slogan du corps enseignant pour les manifestations "can't teach, won't teach !". Le gouvernement essaye depuis de faire passer la grève pour illégale, obligeant les instituteurs a retourner au travail sous peine de perdre leur emploi, mais sans succès jusque la.

Que pensent les kenyans de cette grève ? Notre échantillon limité ne nous a pas permis de faire de statistiques certaines, mais nous a quand même livré des avis différents. Pour commencer, tous pensent qu'il y a un manque de moyens dans l'éducation publique. Nous avons pu rencontré deux instituteurs, donc grévistes, qui nous ont expliqué que les conditions d'enseignement étaient déplorables et que cette grève devait continuer jusqu'à ce qu'une solution pérenne soit atteinte. Mais pour les non enseignants, le soutient aux grévistes n'est pas si évident.

Il y a déjà le manque d'implication des professeurs, qui fait perdre confiance dans l'enseignement public. De plus, pour beaucoup, la situation des instituteurs n'est pas à plaindre. Selon Cyrius, sous-directeur Kenya de Jumia, les enseignants ruraux sont souvent les personnes les plus aisées de leur village. En plus de l'assurance d'un emploi à viem, ils ont des journées assez courtes, possiblement moins de 6h par jour, qu'ils peuvent raccourcir s'ils le souhaitent, et trois mois de congés payes. Leur léger emploi du temps allié à leur niveau d'éducation leur permet alors de développer d'autres business en parallèle de leur activité, source de nouveaux revenus. Dans un village ou le taux d'emploi est catastrophique, ils ne sont pas vraiment les moins bien lotis ...

Elisabeth, professeur en greve

Elisabeth, professeur en greve

Mais alors, comment cette situation peut-elle se régler ? L’état ne veut pas payer d'avantage des professeurs peu impliqués, qui veulent pousser leur grève jusqu'au bout ... Pour Sethu, un chauffeur de taxi avec qui nous avons partagé une heure de bouchons à Nairobi, l'Etat devrait débloquer plus d'argent pour l'éducation. Mais selon lui, le problème est que dans un pays en développement, l'Etat préfère investir en priorité dans des domaines rentables à court et moyen termes, tels que l'industrie, le tourisme ou les travaux publics. Difficile de s'opposer a ce choix, qui est aussi un moyen de développement du pays ...

En résumé, il est assez difficile de prévoir comment cette grève va se terminer. La population est mitigée, entre soutien et lassitude (surtout d'avoir les enfants inoccupés toute la journée), et le gouvernement comme le corps enseignant semblent camper sur leurs positions ... Demain, lundi 21 septembre, commencera la quatrième semaine de grève. La dernière ? Rien n est moins sur...

P.S : la grève a entamé sa cinquième semaine, les discussions en sont toujours au point mort et on attend jeudi premier octobre une décision de justice pouvant ordonner sa suspension ...

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