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Ouganda - Kenya - Tanzanie - Malawi - Mozambique - Zimbabwe : 6 pays, 4 mois, 2 vélos, 1 objectif: atteindre Bulawayo

22 Oct

Élections & Corruption

Publié par Bidou et Xav

Si au Kenya nous disions que l’éducation était un sujet prioritaire, l’actualité Tanzanienne est encore plus brulante : le 25 octobre, les tanzaniens voteront pour les élections présidentielles, législatives et départementales. Ces élections, qui détermineront qui sera le 5ème président tanzanien, méritent bien un article !

Un peu d’histoire pour commencer : la Tanzanie acquière son indépendance du Royaume-Uni en 1961 ; Lwalia Nyerre est nommé président et va le rester jusqu'à sa démission en 1985. Ces 24 ans sont marqués par un système à parti unique (le CCM), une censure de l’opposition et une absence d’élections. Pour autant, les Tanzaniens ne gardent pas un trop mauvais souvenir de cette époque, car la Tanzanie se développait, bien que doucement.

En 1985 donc, changement de président, instauration d’un système multipartite en 1992 et premières élections en 1995. Le président est élu pour 5 ans reconductibles qu’une seule fois. A chacune des 4 dernières élections, c'est encore le candidat de CCM qui l’emporte, avec parfois plus de 80% des voix. Selon nos témoignages récoltés, la situation était encore correcte jusqu’en 2005 mais cela n’a depuis fait qu’empirer, la corruption étant le mot qui revient en permanence lorsque l’on parle du gouvernement tanzanien. En 2010, les résultats des élections vont accuser le parti au pouvoir de tricheries et entrainer des violences dans le pays. Au bout de 3 mois de troubles, des arrangements (corruption ?) entrainent les partis d’opposition à appeler au calme, qui s’impose alors dans le pays.

En résumé, cela fait donc 54 ans que le même parti dirige la Tanzanie, qui a aujourd’hui un niveau de corruption bien plus élevé que son voisin le Kenya et un niveau de développement bien plus faible. Qu’ont donc de spécial ces élections ? Les 4 principaux partis d’opposition ont décidé de s’allier pour proposer un candidat unique, rendant réellement envisageable pour la première fois un changement de gouvernement.

Edward Lowassa, candidat d'opposition

Edward Lowassa, candidat d'opposition

Les journaux publient des sondages mettant les deux candidats aux coudes-à-coudes, mais les instituts de sondages étant contrôlés par le gouvernement, ces statistiques ne valent rien. Partout dans les villages que nous traversons, on peut voir des drapeaux des deux partis, en nombre relativement égaux. Pourtant, nous avons sondé des dizaines de personnes, et une écrasante majorité nous a dit vouloir voter pour Chadema, le parti d’opposition. Mais alors, comment expliquer la présence des drapeaux de CCM en aussi grand nombre ? D’après Benedict, un de nos hôtes, chef d’entreprise, le gouvernement paye certaines personnes pour les soutenir officiellement, et d’autres ont trop peur de dire qu’ils votent Chadema. Lui-même ne se risque pas d’ailleurs pas à afficher son soutient pour Chadema. Selon Slim, notre hôte journaliste, CCM paye les journalistes pour qu’ils viennent à leurs conférences de presse, alors que Chadema ne donne pas un centime. La plupart des chaines de télévision et de radio sont de toutes façons contrôlées par le gouvernement et diffusent des messages pro-CCM. Pour autant, les images des meetings de Chadema montrent des supporters bien plus fervents que ceux de CCM, assez neurasthéniques. Nous avons d’ailleurs eu droit à une ovation d’une centaine de Tanzaniens rassemblés à un meeting de Chadema lorsqu’en passant devant eux à vélo, nous leur firent le signe de ralliement pro-Chadema (le V avec deux doigts).

Élections &  Corruption

Rajoutons un élément : Chadema veut s’attaquer en priorité à la corruption, qui est probablement le principal frein du pays. Mais alors, Florian et Xavier, quel est le problème ?

C’est là que le bât blesse. Le candidat proposé par Chadema est… l’ancien premier ministre, rattaché à CCM pendant les 30 dernières années ! Pire : il fut engagé dans un grave scandale de corruption en 1995 (il a du démissionner pour que le gouvernement n’éclate pas) et a été qualifié par Chadema à cette époque d' « homme le plus corrompu de Tanzanie ».

Comment a-t-il pu devenir le candidat de l’opposition ? « This is Africa » diront certains, « corruption » diront d’autres. La réalité est plus complexe. Les explications nous viennent de Slim, le journaliste.

L’ancien président et Lowassa, le candidat de Chadema, sont amis depuis l’université. Il y a dix ans, Lowassa (qui est extrêmement riche) a accepté de laisser sa place aux présidentielles, et a utilisé son argent et son influence pour mettre son ami au pouvoir. En échange, il voulait recevoir sa part du gâteau et accéder à l’investiture suprême dix ans plus tard. Après dix ans de loyaux services en temps que premier ministre, il se fait poignarder dans le dos : le président choisit un autre candidat que lui pour représenter CCM. Pourquoi ? Car il fait peur au sein du parti au pouvoir : trop d’argent, trop d’influence, il pourrait faire changer les choses de façon peu avantageuse pour certains membres de CCM.

Trahi, Lowassa se tourne alors vers l’opposition. Pourquoi Chadema a-t-il alors choisi de mettre l’un des plus grand voleurs du pays en candidat ? Il a peut-être soudoyé les bonnes personnes, mais il s’agit peut-être d’un choix rationnel bien que risqué. En effet, l’argent, le réseau, les connaissances en politique de Lowassa et sa stature d’homme d’état en font un potentiel bon candidat pour gagner les élections, en l’absence d’un autre leader de l’opposition. De plus, Chadema assure que leur candidat est clean, et contre la corruption. La preuve ? Il est déjà tellement riche que la corruption ne lui apporterait pas grand-chose. Drôle de retournement de veste 20 ans plus tard…

John Magufuli, candidat du parti au pouvoir

John Magufuli, candidat du parti au pouvoir

Pourtant, c’est logique selon Benedict. Il affirme que Lowassa n’a jamais trempé dans la corruption, et qu’il a accepté de prendre la responsabilité de démissionner en 1995 pour sauver le gouvernement. Pour Slim, ce n’est pas bien grave que Lowassa soit un voleur. Selon lui, le plus important est de mettre un candidat qui peut gagner, et il est le mieux placé. Pour citer ses propos, mieux vaut un voleur dans un bon système qu’un homme droit dans un système corrompu, car le système change plus facilement l’homme que l’inverse (mouais…).

En bref, difficile de savoir avec certitude si Lowassa est honnête ou corrompu, mais l’ancien numéro 2 d’un gouvernement de voleurs n’est probablement pas très net. En revanche, le choix d’en faire un candidat n’était pas forcément si absurde pour Chadema, car il peut sérieusement concurrencer le candidat du parti au pouvoir.

La Tanzanie est probablement l’un des pays qui possède le plus d’atouts pour se développer de la région. Immenses surfaces cultivables, matières premières (surtout bois et minerais) en grande quantités, énorme potentiel touristique avec ses parcs naturels et Zanzibar… Son principal frein est son extrême niveau de corruption qui ralentit le développement et effraie les investisseurs. Le 25 octobre 2015, 54 ans après son indépendance, ce pays vivra peut-être sa première alternance politique. Lowassa luttera-t-il vraiment contre la corruption s’il est élu ? Difficile à dire. Une seule chose est sûre : la Tanzanie a grandement besoin de changement.

Qui va gagner ?

Qui va gagner ?

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